
LES IMPORTATIONS PARALLÈLES
Les communautés économiques fonctionnent sur le principe de la libre circulation des marchandises entre les Etats membres. Bien que toujours réglementée, la commercialisation de médicaments n’échappe pas à cette règle élémentaire, fondatrice des marchés communs.
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Conséquence, un grossiste intermédiaire, indépendant du fabricant, a la possibilité d’acheter des médicaments dans un pays voisin qui les vend à meilleur prix afin de le revendre à son tour dans son pays d’origine.
Même lorsqu’elle est légalisée comme au sein de l’Union Européenne, cette pratique dite d’importation parallèle n’est pas sans poser problème au regard de la lutte contre la contrefaçon de médicaments. En Europe, ces importations parallèles sont sources de préoccupations sanitaires depuis longtemps. Emblématiques, les mesures prises dans le cadre des Directives européennes ont vocation à sécuriser une telle pratique en l’encadrant de façon toujours plus rigoureuse.
Les importations parallèles se définissent comme un processus visant à amener un produit de marque authentique sur un marché par le biais de canaux de distribution autres que ceux autorisés par le fabricant.
A ce titre, le problème posé par les importations parallèles n’est pas l’apanage de l’Union Européenne, ni même celui des producteurs de spécialités pharmaceutiques : il se pose à tous les titulaires d’une marque.
Pour autant, c’est dans ce contexte que la question posée par une telle pratique prend tout son poids et va bien au delà de la simple question du respect du droit des marques : elle interroge le bien-fondé de la libre circulation des médicaments face à la sécurité sanitaire de 27 pays et de quelque 500 millions d’habitants.
Aussi, cette page n’a pas pour objectif de détailler l’ensemble des mesures prises par toutes les grandes communautés économiques, unions douanières ou zones de libre-échange (Mercosur, Communauté économique et monétaire de l’Afrique Centrale, Conseil de coopération du Golfe,etc.) pour réguler la pratique des importations parallèles des médicaments.
Elle se bornera à exposer en quels termes se pose le problème au sein de la Communauté européenne et par quels moyens les institutions européennes tentent peu à peu d’y apporter une réponse.
1. Le principe des importations parallèles de médicaments au sein de l’Union européenne
Selon la Commission européenne, « l’importation parallèle d’un médicament consiste à importer puis distribuer le médicament d’un État membre dans un autre État membre, en dehors du réseau de distribution mis en place par le fabricant ou son distributeur agréé ».
Cette pratique commerciale est légalisée au sein du marché communautaire en vertu du principe de libre circulation des marchandises. Elle a été reconnue par la cour de justice européenne dès 1976.
Cette importation ne nécessite pas l’accord préalable du fabricant.
Pour les grossistes importateurs, l’intérêt principal de ces achats effectués en marge des filières d’approvisionnement officielles (d’où le qualificatif de « parallèle ») réside dans le fait de pouvoir profiter des différences de prix d’un pays à l’autre au sein de l’Union Européenne. En effet, ceux-ci sont fixés librement par les gouvernements nationaux pour maîtriser leurs dépenses de santé. Les distributeurs peuvent ainsi acheter à bas prix des médicaments dans un Etat pour les revendre ensuite dans un autre où le prix est plus élevé.
2. Une pratique courante
Au sein des pays de la Communauté européenne, le prix d’un même médicament peut varier de 20 à 50 % d’un pays à l’autre en fonction des politiques publiques.
De telles variations sont de nature à dynamiser la pratique de la commercialisation parallèle en direction des pays où les médicaments sont traditionnellement les plus chers.
La Commission européenne précise d’ailleurs que « les importations parallèles de produits pharmaceutiques représentent un volume important au sein de l’Union européenne ». En 2007, ce commerce était évalué à 5 milliards d’euros (IMS Health).
Selon la Fédération internationale pharmaceutique (FIP), cette pratique commerciale permet à un commerçant de bénéficier d’une marge d’au moins 10 à 15 %.
3. Des restrictions possibles, mais très encadrées et donc rares
Ces importations parallèles peuvent cependant être restreintes dans certains cas bien précis : lorsqu’elles portent atteinte à la protection de la santé et de la vie humaines, ainsi qu’à la protection de la propriété industrielle et commerciale.
L’article 30 du Traité de Rome précise toutefois que « les interdictions ou restrictions ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire, ni une restriction déguisée dans le commerce entre les Etats membres».
Les Etats membres sont ainsi dans l’obligation de justifier auprès de la Commission européenne tout refus opposé à l’entrée sur leur marché d’un produit venant d’un autre Etat membre. Un arrêt de la Cour de justice de la Communauté Européenne souligne d’ailleurs que de telles mesures de restriction doivent être « proportionnées et nécessaires ». (Arrêt Adriaan de Peijper, C-104/75, CJCE, 20 mai 1976).
Dans les faits, de telles restrictions sont très rares.
4. Des procédures simplifiées pour faciliter les importations parallèles
Un médicament peut être importé par un établissement pharmaceutique autorisé sur la base d’une Autorisation d’Importation Parallèle (AIP). Cette AIP est accordée par les Autorités sanitaires nationales conformément à une procédure simplifiée.
Selon la Commission européenne, « cette procédure simplifiée pour les importations parallèles est justifiée par le fait que le produit en question a déjà reçu une autorisation de mise sur le marché (AMM) basée sur des informations techniques complètes. »
Afin de bénéficier de la procédure simplifiée, le médicament importé en parallèle doit remplir deux conditions :
- avoir reçu une AMM dans l’État membre d’origine ;
- être suffisamment similaire à un produit qui a déjà reçu une AMM dans l’État membre de destination.
La similitude entre deux produits pharmaceutiques est jugée suffisante lorsque les deux produits sont fabriqués selon la même formulation, avec le même ingrédient actif et pour les mêmes effets thérapeutiques. De plus, un médicament importé en parallèle peut être distribué selon la procédure simplifiée même si « le produit similaire dont il tire sa licence n’est plus disponible sur le marché, à condition que les exigences de santé publique soient satisfaites ».
5. Ce qui pose problème au regard de la lutte contre les médicaments falsifiés
Dans le cadre de la lutte contre les médicaments falsifiés, les importations parallèles, telles que pratiquées aujourd’hui au sein de l’Union européenne, posent les problèmes suivants :
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5.1 – La multiplication artificielle des intermédiaires
En rompant avec le schéma traditionnel de distribution (fabricant du médicament / grossiste / officine), les importations parallèles impliquent l’émergence de nouveaux acteurs (acheteurs, reconditionneurs, transporteurs, etc.) parfois très nombreux.
Cette multiplication des intermédiaires fragilise la sécurité de la chaîne de distribution et décuple les possibilités pour les contrefacteurs d’introduire en son sein leurs marchandises falsifiées.
La complexification et le manque de lisibilité de ces circuits d’approvisionnement parallèles rendent leur contrôle plus difficile.
5.2 – Le reconditionnement systématique
Outre l’introduction de cette complexité nouvelle, la pratique des importations parallèles de médicaments pose un problème lié au reconditionnement systématique des médicaments.
En effet, le médicament importé par le canal direct du fabricant conserve son conditionnement d’origine, celui-ci ayant été adapté en amont au marché auquel il est destiné. En revanche, dans le cas d’un médicament importé en parallèle, il est nécessaire de procéder à ce reconditionnement afin d’adapter le produit à la législation nationale du pays d’importation, notamment en matière linguistique.
De telles opérations de reconditionnement peuvent se limiter à l’ajout d’étiquettes sur l’emballage d’origine, mais également induire un changement complet du conditionnement et l’impression d’un nouvel étui.
Parmi d’autres risques sanitaires (confusion ou erreur de notices et d’emballages, complexification des campagnes de rappel de lots, non-respect des conditions de conservation, etc.), cette étape de reconditionnement va à l’encontre des intérêts du pays importateur en matière de lutte contre la contrefaçon de médicaments pour plusieurs raisons :
- Elle favorise les possibilités de substitution de médicaments authentiques par des médicaments falsifiés.
- Elle est incompatible avec les dispositifs d’authentification visuels et d’inviolabilité mis en œuvre par les industriels (voir page « outils technologiques »).
- En l’absence de systèmes harmonisés entre les pays importateurs et exportateurs, elle fragilise l’exercice de la traçabilité du médicament.
En effet, par exemple, certains importateurs parallèles procèdent dans le cadre du reconditionnement des médicaments à des modifications des numéros de lot. Ces pratiques conduisent à la présence de numéros différents entre les conditionnements primaires et secondaires.
Par ailleurs, afin de répondre à l’obligation faite dans certains pays de faire correspondre le nombre d’unités de prise à celui de la spécialité bénéficiant de l’AMM nationale, des importateurs procèdent ponctuellement au découpage des blisters dans les étuis.
Enfin, en cas de reconditionnement, que deviennent les emballages de médicaments d’origine ? Sont-ils détruits systématiquement dans une procédure contrôlée afin qu’ils ne puissent être remplis de faux médicaments et réintroduites sur le marché ?
En l’absence de telles garanties, le reconditionnement est susceptible de faciliter le travail des contrefacteurs.
Face à de telles pratiques et plus généralement à l’essor de l’activité de reconditionnement de leurs produits par des tiers, les industriels du médicament et les instances de représentation ont exprimé à plusieurs reprises leur préoccupations.
5.3 – Encadrement des importations parallèles par la Directive « médicaments falsifiés »
Pour répondre à ces difficultés majeures, la question du commerce parallèle des médicaments a été placée au cœur d’une réflexion entamée depuis longtemps pas la Commission Européenne et par l’EFPIA.
En 2006, la Commission était à l’initiative d’une étude sur le commerce parallèle de médicaments au sein de l’Europe. Ses premiers résultats, publiés en janvier 2008, confirmaient les risques importants pour la sécurité des patients pour les raisons évoquées ci-dessus.
En conséquence, de nouvelles dispositions portant sur les importations parallèles de médicaments ont été intégrées au sein de la Directive 2011/62/UE dite « médicaments falsifiés » (publiée au JO de l’UE le 1er juillet 2011).
Celles-ci prévoient notamment un contrôle plus strict des activités de reconditionnement des médicaments. Ainsi, les titulaires d’une AIP devront désormais non seulement s’assurer de l’authenticité et de l’intégrité du produit, mais également y apposer un dispositif de sécurité «équivalent» à celui d’origine.
Cette nouvelle disposition vient s’ajouter aux conditions de l’admissibilité des opérations de reconditionnement des médicaments importés parallèlement dégagées par les différents arrêts de la Cour de Justice de l’Union Européenne :
- l’état d’origine du produit ne doit pas être affecté défavorablement par le reconditionnement,
- le nom du fabricant et de l’auteur du reconditionnement doivent être indiqués sur le nouvel emballage,
- la présentation du produit reconditionné ne doit pas porter atteinte à la réputation de la marque et de son propriétaire
- et enfin, l’importateur parallèle doit informer par écrit le propriétaire de la marque et lui fournir un spécimen du produit reconditionné.
La Directive rappelle également que :
- Les titulaires d’une autorisation de fabrication qui reconditionnent les médicaments devraient être tenus responsables des préjudices causés.
- Les grossistes devraient vérifier que leurs fournisseurs en gros sont titulaires d’une autorisation de distribution en gros.
- Une liste des grossistes pour lesquels il a été établi, au moyen d’une inspection par une autorité compétente d’un État membre, qu’ils respectent la législation applicable de l’Union, devrait être publiée dans une banque de données à établir au niveau de l’Union.
- Les dispositions relatives à l’inspection et au contrôle de tous les acteurs impliqués dans la fabrication et la distribution de médicaments et de leurs composants devraient être clarifiées et des dispositions spécifiques devraient s’appliquer aux différents types d’acteurs. Cela ne devrait pas empêcher les États membres de procéder à des inspections supplémentaires lorsqu’ils les estiment appropriées.
Pour lire la Directive européenne 2011/62/UE.