
ACTA, UN TRAITÉ ANTI-CONTREFACON CONTROVERSÉ
Négocié depuis 2007 à l’initiative du Japon et des Etats-Unis, l’ACTA, pour « Accord Commercial Anti-Contrefaçon[1] », définit un cadre juridique international visant à lutter contre la contrefaçon au sens large, depuis les médicaments et autres marchandises jusqu’au téléchargement illégal sur Internet.
1. Le contexte
La contrefaçon est une menace qui pèse de plus en plus sur le développement durable de l’économie mondiale. Elle représenterait 5 à 10% du commerce mondial (1) et ferait perdre chaque année des milliards d’euros et des milliers d’emplois aux entreprises légitimes.
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Pour répondre à ce besoin grandissant de lutte organisée contre ce fléau et pour offrir des moyens efficaces et appropriés visant à faire respecter les droits de propriété intellectuelle (DPI), une quarantaine de pays a élaboré ces dernières années un nouveau cadre juridique destiné à lutter plus efficacement contre les atteintes aux DPI, à savoir la contrefaçon et le piratage numérique, en encourageant la coopération et la surveillance à l’échelle internationale. L’accord est nommé « ACTA » pour Accord Commercial Anti-Contrefaçon (2).
En effet, depuis l’acte final instituant l’Organisation Mondiale du Commerce le 15 avril 1994 à Marrakech, dans lequel est annexé « l’Accord sur les aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce » (ADPIC), instituant des dispositions minimales qu’il s’agisse de l’acquisition des droits de propriété intellectuelle ou du respect de ces droits ; l’Accord ne répond plus aux évolutions du commerce mondial et de la contrefaçon : absence de prise en compte du nouveau vecteur d’internet, intervention aux frontières limitée à l’importation et à l’exportation pour les marques et droits d’auteur, coopération transfrontalière et internationale embryonnaire, etc.
Fondé sur les ADPIC, l’ACTA apporte des mesures contraignantes et volontaires qui devront être adoptées par les pays faisant partie de l’accord. Au niveau européen, l’ACTA est un accord mixte. C’est-à-dire qu’il contient plusieurs séries de dispositions qui relèvent en partie de la compétence exclusive de l’Union Européenne et en partie d’une compétence partagée entre l’UE et ses Etats membres.
2. La genèse de l’ACTA
Les négociations officielles sur l’ACTA ont été lancées en juin 2008, à partir d’un concept introduit par le Japon lors de la préparation du sommet du G8 de 2006, puis approuvé par les États-Unis.
Onze cycles de négociations ont eu lieu. Depuis cinq ans, 39 pays (3), représentant plus de 50% du commerce international, ont œuvré à son élaboration. La Chine et l’Inde, principales sources de produits contrefaits dans le monde, ont été absents des négociations. Le 27 mai 2011, la Commission Européenne publie le texte final du traité.
L’ACTA a été signé le 1er octobre 2011 par 8 pays : l’Australie, le Canada, le Japon, le Maroc, la Nouvelle Zélande, Singapour, la Corée du Sud, et les États-Unis. Ils ont été rejoints le 26 janvier 2012 à Tokyo par la Commission Européenne et 22 des 27 États membres de l’Union Européenne.
3. Les dispositions principales
L’Accord Commercial Anti-Contrefaçon s’articule autour de six chapitres et quarante-cinq articles qui définissent un nouveau cadre juridique pour le respect des droits de la propriété intellectuelle :
- Chapitre I : Dispositions initiales et définitions générales, articles 1 à 5
- Chapitre II : Cadre juridique pour faire respecter les droits de propriété intellectuelle, articles 6 à 27
- Chapitre III : Pratique en matière de respect des droits, articles 28 à 32
- Chapitre IV : Coopération internationale, articles 33 à 35
- Chapitre V : Arrangements institutionnels, articles 36 à 38
- Chapitre VI : Dispositions finales, articles 39 à 45
Les dispositions principales sur le respect des droits de propriété intellectuelle de l’ACTA prévoient notamment :
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3.1 Des mesures civiles
Les articles 7 à 12 prévoient de protéger le détenteur du droit d’auteur en obligeant le contrevenant de verser des dommages et intérêts à proportion du préjudice.
3.2 Des mesures pénales
Les articles 23 à 26 prévoient des sanctions suffisamment lourdes pour être dissuasives, qui vont de l’amende jusqu’à l’emprisonnement, ces sanctions pouvant concerner, outre les fautifs, les éventuels complices ainsi que les personnes morales.
3.3 Des mesures douanières
Les articles 13 à 22 confortent les contrôles aux frontières en rappelant les prérogatives des douanes sans pour autant les renforcer.
3.4 Des mesures de respect des droits sur Internet
L’article 27 prévoit des moyens de faire respecter les DPI dans l’environnement numérique avec notamment une responsabilisation des fournisseurs d’accès Internet.
3.5 Des mécanismes de coopération solides entre les parties à l’ACTA pour les aider dans leurs efforts d’application des dispositions.
Les articles 33 à 35 prévoient une coopération par l’échange de renseignements, par un renforcement des capacités et par l’assistance technique. Par ailleurs, les articles 36 à 38 prévoient la création du Comité de l’ACTA pour faciliter la mise en œuvre et le fonctionnement de l’accord.
3.6 L’établissement de « pratiques exemplaires » pour une application efficace des DPI.
4. Une forte mobilisation pour le rejet de l’ACTA
Rarement, un traité commercial n’avait suscité une telle mobilisation. C’est à la fois la méthode et le fond du traité jugé trop « flou » et potentiellement « dangereux » pour les libertés numériques, l’accès aux médicaments et la neutralité d’Internet qui ont fait souffler un vent de contestation générale, qui depuis début 2012, se fait de plus en plus forte dans la société civile, mais également au sein des grandes instances :
- Le jour-même où la Commission Européenne signe officiellement l’accord à Tokyo, le rapporteur de l’ACTA au Parlement Européen démissionne et dénonce une « mascarade ».
- Fin janvier, une pétition contre l’ACTA réunit plus de 1,25 million de signatures et le 11 février 2012, une journée internationale mobilise des millions d’opposants à l’ACTA.
- En février 2012, la Commission Européenne saisit la Cour Européenne de Justice pour vérifier si l’accord international viole certains droits fondamentaux.
- En mai et juin 2012, les cinq commissions parlementaires (Commission des Libertés civiles, de l’Industrie, des Affaires juridiques, du Développement et du Commerce international) se prononcent contre le traité.
Au terme de plusieurs mois de vifs débats et de protestations, et après une série de votes négatifs en commission, l’Union Européenne rejette définitivement le traité par un vote sans appel le 4 juillet 2012. Toutefois, le veto du Parlement Européen n’enterre pas officiellement l’ACTA, les autres pays signataires, à savoir les Etats-Unis, le Japon, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, Singapour, la Corée du Sud, la Suisse, le Maroc et le Mexique, peuvent encore le ratifier.
5. Les raisons de la controverse pour les opposants de l’ACTA
Dès mai 2008, date de la divulgation de l’ébauche du traité par Wikileaks, l’ACTA suscite des protestations massives, tant au sein de la société civile qu’au sein des grandes instances. En cause, de multiples points de discorde sur le traité et son élaboration :
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5.1 Une négociation à huit clos
Les opposants à l’ACTA lui reproche d’avoir été négocié dans la plus grande opacité et de ne pas avoir initié le débat au sein de l’Organisation Mondial du Commerce (OMC). Ce manque de concertation est même défendu par le principal négociateur de l’ACTA pour la Commission Européenne (Pedro Velasco Martins, chef d’unité adjoint pour la propriété intellectuelle et les marchés publics à la Direction Générale du commerce de la Commission européenne). Toutefois, de tels accords ne sont pas négociés publiquement et le texte de négociations est public depuis avril 2010. Quant à un débat au sein de l’OMC, ou même de l’OMPI (Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle), on ne peut que constater que de nombreux Etats s’y sont opposés.
5.2 Un traité flou
L’accord est également critiqué sur le fond. L’ACTA est jugé trop « vague » et donc « dangereux » pour les libertés individuelles. Les détracteurs de l’ACTA le jugent imprécis, avec des principes de bases manquant de détails, et des incertitudes liées à leur interprétation, laissant potentiellement la voie à des abus de la part des titulaires de droits.
5.3 Une atteinte aux droits fondamentaux
C’est l’un des points les plus controversés. Selon les opposants, le traité menace les libertés individuelles, notamment celle des internautes. L’accord stipule qu’un Etat peut prévoir que ses autorités compétentes peuvent «ordonner à un fournisseur de services en ligne de divulguer rapidement au détenteur du droit des renseignements suffisants pour lui permettre d’identifier un abonné dont il est allégué que le compte aurait été utilisé en vue de porter atteinte à des droits, lorsque le détenteur du droit a présenté des allégations suffisantes sur le plan juridique» (article 27). Les fournisseurs de service en ligne, comme les moteurs de recherches, les fournisseurs d’accès à Internet et les réseaux sociaux, peuvent ainsi divulguer sur demande les données relatives aux internautes. Plus généralement, le traité adopte un renforcement de la responsabilité des fournisseurs d’accès à internet (FAI).
5.4 La création d’un Comité de l’ACTA indépendant
Le comité de surveillance a pour objectif de faire le point sur la mise en place et le fonctionnement de l’accord par les différents signataires. Il peut également mettre en place des comités et des groupes de travail ad hoc pour l’aider à s’acquitter de ses responsabilités voire même de faire appel à des groupes d’intérêts privés. Les opposants de l’ACTA dénoncent une véritable porte ouverte aux lobbys de la protection de la propriété intellectuelle.
5.4 Un accès limité au médicament générique
L’ACTA comprend des dispositions renforçant la lutte contre l’entrée de médicaments contrefaits dans les pays signataires de l’accord. Pourtant, ses détracteurs rapportent que l’ACTA restreindrait les ventes de médicaments génériques légaux en faisant l’amalgame entre copie de médicaments et médicament générique. Ce nouveau cadre juridique pourrait alors, selon certains, se traduire par des « saisies » abusives aux frontières. Toutefois, retenons également que l’ACTA fait expressément référence à la déclaration de Doha sur la propriété intellectuelle et la santé publique et que les brevets ont été explicitement exclus du champ des mesures douanières de l’accord.
Encensé par certains, décrié par d’autres, l’ACTA suscite depuis quelques années une polémique forte. Son rejet par le Parlement Européen le 4 juillet 2012 signe sa fin en Europe et vraisemblablement au niveau international.
6. Pour aller plus loin
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6.1 Historique de l’ACTA
- Octobre 2007 : DEBUT DES NEGOCIATIONS à l’initiative du Japon et des États-Unis.
- 3-4 Juin 2008 : 1er des 11 rounds de négociations officielles qui se déroulent jusqu’au 1er octobre 2010. 39 pays, dont les 27 de l’Union Européenne y participent.
- 29-31 juillet 2008 : Second round de négociation à Washington, DC, USA.
- 8-9 octobre 2008 : Troisième round de négociation à Tokyo, Japon.
- 15-18 décembre 2008 : Quatrième round de négociation à Paris, France.
- 16-17 juillet 2009 : Cinquième round de négociation à Rabat, Maroc.
- 4-6 novembre 2009 : Sixième round de négociation à Seoul, Corée du Sud.
- 26-29 janvier 2010 : Septième round de négociation à Mexico, Mexique.
- 12-16 avril 2010 : Huitième round de négociation à Wellington, Nouvelle Zélande.
- 21 avril 2010 : 1ère VERSION OFFICIELLE DE L’EBAUCHE DU TEXTE : les pays négociateurs publient les documents du 8ème round de négociation de Wellington, Nouvelle Zélande.
- 28 juin-1er juillet 2010 : Neuvième round de négociation à Lucerne, Suisse.
- 16-20 août 2010 : Dixième round de négociation à Washington, États-Unis.
- 24 novembre 2010 : Adoption de la résolution du Parlement européen sur l’ACTA.
- 1er octobre 2011 : SIGNATURE DU TRAITE PAR HUIT PAYS : Etats-Unis, Australie, Canada, Japon, Maroc, Nouvelle Zélande, Singapour et Corée du Sud.
- 27 mai 2011: Publication de la version finale du traité par la Commission Européenne.
- 26 janvier 2012 : SIGNATURE DU TRAITE A TOKYO PAR LA COMMISSION EUROPEENNE ET 22 DES 27 ETATS DE L’UE (à l’exception de Chypre, Estonie, Slovaquie, Allemagne et Pays-Bas).
- 11 février 2012 : Appel à une journée de protestation internationale.
- 22 février 2012 : Saisi de la Cour de Justice de l’Union Européenne par la Commission Européenne pour vérifier si l’accord international viole des droits fondamentaux, comme la liberté d’expression, d’information, la protection des données et le droit de propriété intellectuelle.
- 10 Avril 2012 : Signature de la pétition anti-ACTA par plus de 2,5 millions d’internautes.
- 19 juin 2012 : Recommandation de la Commission du Commerce International (INTA) au Parlement Européen de rejeter l’accord (par 19 voix pour, 12 voix contre et aucune abstention).
- 4 juillet 2012 : REJET DU TRAITE PAR LE PARLEMENT EUROPEEN EN SESSION PLENIERE (par 478 voix contre, 39 voix pour, et 165 abstentions).
6.2 Projets de lois montrant des similarités à l’ACTA
Certains projets de lois en cours de négociations (CETA) ou momentanément ajournés (PIPA et SOPA) définissent de nouveaux cadres législatifs sur la propriété intellectuelle, présentant même des similarités à l’ACTA :
- PIPA (Protect Intellectual Property Act ou Preventing Real Online Threats to Economic Creativity and Theft of Intellectual Property Act of 2011) – Etats-Unis (loi ajournée sine die). Proposée au Sénat américain le 12 mai 2011, PIPA est une nouvelle version du projet de loi COICA (Combating Online Infringement and Counterfeits Act) rejeté en 2010.
- Elle est aussi l’équivalent de la loi SOPA au Sénat. Elle a pour objectif de donner des outils au gouvernement américain et aux détenteurs de droits pour limiter l’accès aux sites dédiés au piratage et aux contrefaçons.
SOPA (Stop Online Piracy Act) – Etats-Unis (loi ajournée sine die)
Déposée à la chambre des représentants des Etats-Unis le 26 octobre 2011, elle a pour objectif d’élargir les capacités d’application du droit d’auteur et des ayants droit pour lutter contre sa violation en ligne et les contrefaçons. En réaction à la décision du Sénat américain de suspendre la décision du projet PIPA, les travaux de la commission sur ce texte sont suspendus depuis le 20 janvier 2012, dans l’attente d’un accord.
CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement) – Canada et Union Européenne
Annoncées officiellement le 6 mai 2009 au sommet Canada-UE à Prague, les négociations pour une proposition de traité de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne ont récemment soulevé de vives préoccupations. En effet, un certain nombre de ses dispositions sur le droit d’auteur seraient identiques au controversé traité de l’ACTA, rejeté le 4 juillet 2012 par le Parlement Européen.
(1) Le portail de l’industrie. La lutte contre la contrefaçon.
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(2) Accord Commercial Anti-Contrefaçon (ACTA).
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(3) 39 pays ont participé à l’élaboration de l’ACTA : Australie, Canada, Corée du Sud, Etats-Unis, Japon, Maroc, Mexique, Nouvelle-Zélande, Singapour, Suisse, Jordanie, Emirats Arabes Unis ainsi que les 27 pays de l’UE.
[1] Anti-Counterfeiting Trade Agreement dans son acronyme anglais.